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Arranger / Déranger

Entretien croisé

Nicolas Simon, Lucas Henri et Robin Melchior

La Symphonie de Poche est née de la volonté de proposer un regard neuf et audacieux sur les œuvres du répertoire. Votre choix se porte-t-il vers tout type d’œuvre ?

NS (directeur artistique et musical) : Dans l’absolu, oui. Je n’ai pas envie de priver l’ensemble de certaines musiques. Nous avons déjà revisité un large répertoire allant de Lully à Ravel et nous ne nous limitons pas au répertoire dit « classique ».

LH (arrangeur) : Nous nous sommes déjà essayés à de nombreuses périodes et formes musicales. Forts de ces expériences, nous pouvons de mieux en mieux sentir et circonscrire le répertoire qui convient à l'ensemble. Il me semble d'ailleurs que nous n'avons pas encore éprouvé de réelles limites "stylistiques" ou "formelles" en soit. Ce sont les caractéristiques spécifiques à chaque oeuvre qui déterminent leur "adaptabilité" à notre ensemble mais de façon assez difficile à définir précisément.

RM (arrangeur) : N’ayant pas encore eu l’occasion de participer aux choix des œuvres ou des programmes (dans Beethoven, si tu nous entends, j’ai choisi le contenu mais pas le contenant), je ne peux que constater et admirer la diversité des spectacles que propose La Symphonie de Poche. Je ne doute de l’enrichissement futur de son répertoire par l’exploration d’autres styles et d’autres univers que ceux déjà visités.

Pourquoi avoir choisi des instruments tels que l’accordéon ou le marimba pour harmoniser l’ensemble ? 

NS : L’accordéon nous apporte la 3D. Tout l’orchestre vient puiser en lui. C’est un instrument caméléon, qui à la fois se distingue par son timbre reconnaissable et sait se fondre dans les autres instruments. Avec une seconde clarinette, un saxhorn baryton et le très typé marimba, La Symphonie de Poche trouve sa configuration typique et invariable. C’est son identité sonore. 

LH : Ces instruments se mélangent très bien avec les autres et peuvent enrichir et "harmoniser" n'importe quel pupitre tout en apportant une couleur très particulière et spécifique à notre ensemble. Quant au processus d'écriture, ces instruments polyphoniques et harmoniques (dont la harpe fait également partie) sont très précieux, notamment dans les cas d'arrangement de grandes œuvres symphoniques, car ils peuvent prendre en charge à eux-seuls l'ensemble d'une section de l'orchestre. 

RM : Au-delà de son timbre si particulier et de la multitude de ses registres, je suis toujours stupéfait de constater à quel point l’accordéon se mélange à merveille avec les instruments qui l'entourent : s’il double le quintette à cordes, vous aurez l’impression d’entendre un orchestre à cordes complet ; s’il se marie à la flûte et aux clarinettes, c’est tout un pupitre de bois qui émerge soudain.
Le marimba permet d’enrichir considérablement la palette de sonorités et d'effets disponibles : selon les baguettes et les hauteurs de notes choisies, l’instrument peut être extrêmement tranchant ou bien au contraire amener un velouté exceptionnel. Quant à la harpe, elle est pour moi le résonateur de l’ensemble, avec ou sans attaque. De plus, harpe et marimba sont de « gros » instruments, qui peuvent donner un effet de masse orchestrale assez impressionnant. Leur disposition sur scène en stéréo y contribue d’ailleurs beaucoup.
En résumé, l’accordéon pourrait s'assimiler à la clé de voûte d’une architecture à 12 musiciens dont harpe et marimba seraient les contreforts — c’est en tout cas comme ça que je me représente les choses quand je réalise des arrangements pour l’ensemble.

Certaines d'entre elles vous semblent-elles plus propices que d'autres à être arrangées ?

NS : Les œuvres possédant en elles une grande variété de timbres sont très inspirantes pour notre effectif qui, d’une certaine manière, prolonge cette quête de sonorités nouvelles.

J’ai aussi le sentiment que les œuvres qui évoquent un univers extra-musical, font appel à un imaginaire, sont les plus adaptées à notre démarche.

LH : La notion d'arrangement est très vaste, il y a de nombreuses manières d'envisager cet exercice. Il peut s'agir d'une simple "ré-instrumentation" dans laquelle version originale est conservée ou de prendre quelques libertés... Celles-ci sont les bienvenues quand il s'agit d'adapter l'œuvre à un changement d'effectif. La démarche de l'arrangeur peut prendre plusieurs formes. C'est, à mon sens, sur le choix de la forme vis-à-vis d'une œuvre que l'arrangement apparaît pertinent ou non. Je trouve notre effectif particulièrement inspirant et riche lorsqu'il s'agit d'arranger des chansons ou un répertoire de musique dite "légère". 

RM : Je partage l’avis de Lucas concernant le répertoire de la chanson. L’effectif varié de La Symphonie de Poche s’y adapte bien et le naturel (de mon point de vue) qui accompagne souvent ces musiques dites « populaires » permet un maximum de liberté dans l’arrangement. Les programmes Songs et Bourvil, 100 ans en sont de beaux exemples. Avec le répertoire savant occidental et notamment symphonique, le poids de l’héritage est tel qu’il n’est pas toujours facile de trouver la « bonne » manière d’adapter l’œuvre d’origine : comment à la fois respecter son essence tout en lui apportant une relecture suffisamment nouvelle et originale, qui puisse donner du sens au travail d'arrangement et à l'interprétation ? Une question que je n’ai pas cessé de me poser en écrivant les différents mouvements du spectacle Beethoven, si tu nous entends… Et que je continue d’ailleurs à me poser.

Quel éclairage cette démarche permet-elle de donner aux œuvres choisies ? 

NS : Plusieurs fois, des auditeurs m’ont exprimé leur plaisir à découvrir de manière plus intime les œuvres proposées, d’en pénétrer plus profondément et subtilement leur essence.

Il y a aussi dans cette démarche la volonté de donner un nouvel éclairage au répertoire choisi. Il ne s’agit pas de réduire les partitions, il faut éviter toute déperdition de qualité. C’est pourquoi le travail d’écriture est présent dès le départ. Il est l’une de nos richesses en nous permettant de nous approprier les œuvres de l’intérieur, de toucher au processus de création.

LH : Le côté "chambriste" de notre ensemble est très intéressant pour l'écriture. Il donne envie de valoriser chaque instrumentiste de l'ensemble. Concernant les œuvres issues du répertoire symphonique, le travail à 13 musiciens suscite forcément une approche particulière et inhabituelle sur l'interprétation. 

Une grande partie de notre répertoire est constituée d'arrangements originaux (notamment de chansons) qui sont donc pour l'auditeur une découverte quasi-totale !

RM : Outre la grande liberté dont nous disposons dans le choix du répertoire — tout est « potentiellement » adaptable, La Symphonie de Poche est un champ d’expérimentation vaste et restreint à la fois : restreint car c’est un petit orchestre, vaste parce que c’est un grand groupe de musique de chambre.

Choisir de considérer l’ensemble selon l’un ou l’autre de ces paradigmes permet de prendre des partis complètement différents dans le processus d’adaptation des œuvres. En outre, décider de mettre en valeur tantôt l’accordéon, tantôt le premier violon, tantôt le saxhorn baryton etc. est je pense l’une des grandes forces de l’ensemble. Cela permet de créer une sorte de « narration de timbres » dans le cheminement d’un programme tout entier, en proposant une nouvelle manière de percevoir les œuvres, individuellement, mais de les mettre en regard.

Arranger / Déranger (l'esprit du compositeur) : où se situe la limite du possible selon vous ? 

NS : La réponse est simple et complexe à la fois ! Nous tâchons de ne pas sortir des limites du bon goût. Une notion bien subjective ! La liberté dans l'arrangement peut finalement être poussée assez loin (je pense ici à la proposition que nous avons faite du Boléro de Ravel) tant qu'elle respecte et ne nous semble pas trahir la pensée du compositeur.

LH : Il existe bel et bien une limite que je questionne systématiquement dans mon travail. En revanche, je crois manquer encore d'expérience pour parvenir à la définir clairement ! 

RM : Difficile de répondre à cette question… Tout dépend de l’intention musicale que l’on souhaite donner à l’adaptation, et dans quel type de spectacle celle-ci va s’inscrire. Mais je crois aussi que la limite est simplement celle de l’inspiration. Si l’œuvre est stimulante, tout est possible : et quitte à jouer la carte de l’arrangement, autant assumer pleinement le contrepied, la parodie, le mélange… L’essentiel est de bien choisir les œuvres qui permettront (et supporteront !) une telle démarche, ce qui n’est pas une mince affaire.

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